BIOGRAPHIE

Alan Glass

Montréal, Canada, 1932 –
Cdmx, Mexico, 2023

Alan sur le toit du 5 Rue Manuel, 1953.

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Alan Glass

 

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Alan Glass est né à Montréal, au Canada, en 1932. Alors qu’il n’a que dix-sept ans, il s’inscrit à l’École des beaux-arts, où il étudie avec le peintre Alfred Pellan. Quelques semaines avant son vingtième anniversaire, en juin 1952, Glass s’embarque pour Paris afin de poursuivre ses études artistiques grâce à une bourse du gouvernement français. La décennie qu’il passe à Paris s’avère formatrice. En 1954, il utilise pour la première fois un stylo à bille, une invention alors récente qui peut être utilisée avec une rapidité et une agilité inégalées, et développe une pratique du dessin automatique très originale. Conjurant des formes organiques luxuriantes avec ses humbles stylos Bic, Glass crée des panoramas étonnants, quelque part entre le figuratif et l’abstrait. Lorsque ses dessins sont découverts par les surréalistes parisiens, Glass est présenté à André Breton, à qui il rend visite de temps à autre dans son atelier du 42 rue Fontaine. Avec le poète Benjamin Péret, Breton organise la première exposition personnelle de Glass à la Galerie le Terrain Vague en janvier 1958. Pendant son séjour à Paris, Glass se lie d’amitié avec Aube Breton-Elléouët ainsi qu’avec d’autres expatriés canadiens, dont Jean Benoît, Mimi Parent et Roland Giguère.

Au début des années 1960, Glass a commencé à réaliser les assemblages pour lesquels il est le plus connu. S’inspirant de la riche histoire de l’objet surréaliste – de Man Ray et Marcel Duchamp à Meret Oppenheim et Joseph Cornell, jusqu’aux développements ultérieurs de Parent et Adrien Dax – Glass a rapidement développé une pratique d’assemblage très particulière, marquée à la fois par son atmosphère sacrée et par son sens idiosyncrasique de l’humour et de l’esprit.

Glass s’est rendu pour la première fois au Mexique en 1961, en grande partie parce qu’il avait vu un crâne de sucre mexicain dans l’atelier d’Aube Breton-Elléouët. Il finit par y rester un an. De retour à Paris, où l’augmentation du coût de la vie rend la vie d’artiste de plus en plus difficile, il ressent rapidement l’envie de retourner au Mexique. En 1963, il s’installe à Mexico, où il résidera jusqu’à la fin de sa vie. Par l’intermédiaire de son ami Alejandro Jodorowsky, Glass fait la connaissance de Leonora Carrington. Bientôt, il fait partie intégrante du cercle surréaliste local, qui comprend également des artistes tels que Bridget Bate Tichenor et Pedro Friedeberg. Glass s’épanouit à Mexico mais continue à voyager beaucoup, et il passe souvent une partie de l’année à Montréal et à Paris.

Au cours de ses voyages, ainsi que chez lui à Mexico, Glass écumait les marchés aux puces et les magasins de curiosités, amassant une vaste collection de matières premières pour ses assemblages en boîte. Dans ses œuvres, de vieilles horloges, des publicités, des jouets, des cartes, des outils, des ampoules électriques, des touffes de cheveux, des champignons, des insectes, des œufs, des broderies, des graines et bien d’autres choses encore sont disposés dans de nouvelles constellations éblouissantes, obéissant aux dictats associatifs de la poésie surréaliste pour offrir une échappatoire à l’ordre conventionnel et désenchanté du monde.

Au cours de ses six décennies de fabrication d’objets, la pratique de Glass a constamment évolué. Au milieu des années 1960, il construit une série de boîtes sur le thème des reliquaires, qui sont exposées à la légendaire Galería de Antonio Souza au début de l’année 1967. Lorsqu’il expose une série de boîtes qui semblent représenter des expériences d’illumination ésotérique à la Galería Pecanins en 1972, Jodorowsky saisit l’occasion de les filmer. Il finit par utiliser l’art de Glass de manière troublante dans son film culte La Montagne sacrée (1973). Quelques années plus tard, en 1976, Glass organise sa première grande rétrospective au Museo de Arte Moderno de Mexico. En 2008, il revient au musée avec l’exposition complète Zurcidos invisibles, qui présente l’ensemble de ses œuvres toujours inventives en deux et trois dimensions. Parallèlement à ces expositions, Glass a présenté son travail dans des lieux aussi prestigieux que la Galerie du Siècle à Montréal, la Galerie 1900-2000 à Paris et la Galería López Quiroga à Mexico.

L’art de Glass se caractérise par ses nombreux niveaux de connexions poétiques. L’un de ses traits distinctifs est la création de réseaux allusifs de citations visuelles et verbales, à travers lesquels il rend hommage à des poètes, des artistes et des écrivains importants pour lui. Il a consacré plusieurs œuvres au peintre romantique allemand Caspar David Friedrich, en incorporant des reproductions d’œuvres de Friedrich et en développant leur signification par des manipulations visuelles ou l’ajout d’éléments choisis avec imagination. Pharmacie (2003) est une version inspirée de Friedrich de la célèbre œuvre éponyme de Marcel Duchamp datant de 1914, qui relie deux artistes d’époques différentes grâce à la sensibilité poétique de Glass. Il a également rendu hommage à son ami André Breton, notamment en interprétant son concept l’or du temps, qui est aussi « hors du temps», comme un navire d’or suspendu dans une cage à oiseaux dans Vers l’or du temps (2002). D’autres œuvres évoquent l’art ou la vie de collègues surréalistes tels que Meret Oppenheim, Man Ray et Remedios Varo. Dans l’une des toutes dernières boîtes qu’il a réalisées, Glass est parvenu à concrétiser son ambition de longue date de rendre hommage au tableau d’Henri Rousseau de 1908, Les joueurs de football. En combinant une reproduction de carte postale du tableau avec les pinces d’un homard que Glass avait reçu en cadeau de Friedeberg, la boîte réunit Rousseau, l’un des précurseurs chéris de Glass, et Friedeberg, contemporain et ami de Glass.

Parallèlement à son travail d’assemblage, Glass continue de se consacrer à l’aspect bidimensionnel de sa pratique. Éblouissantes de détails, ses peintures représentent souvent des paysages cosmiques avec des corps célestes, des bâtiments ressemblant à des temples et une myriade d’humains et d’animaux grouillants, entassés les uns sur les autres, en train de se métamorphoser. Ses dessins, au crayon ou à la pointe d’argent et ses gravures tendent à faire allusion aux pouvoirs médiumniques de la vision, évoquant des effusions ectoplasmiques, des visages fantomatiques et un sentiment de nature animée de l’intérieur.

Glass a été remarquablement productif jusqu’à la fin de sa vie. Comme l’a noté Susan Aberth, ses boîtes « semblent étonnamment contemporaines » dans leurs « juxtapositions saisissantes de mots, d’objets et d’images ». Dans les dernières années de sa vie, l’art de Glass est toujours aussi complexe, mystérieux et plein d’esprit. Il s’est découvert une attirance inattendue pour les jaunes vifs, a peuplé ses boîtes de corbeaux et de merles espiègles et curieux, et a sondé le mystère de la mort et de la résurrection en se référant au tarot et au retable d’Isenheim de Mathias Grünewald. Le temps et la mémoire, le vol des abeilles et les mythes des déesses païennes, l’expérience visionnaire et les joies des jouets insolites, l’état désastreux du monde et les possibilités de sa transformation – ces éléments et bien d’autres encore coexistent dans les boîtes de Glass. Elles contiennent des mondes construits comme des poèmes mystérieux et pleins d’esprit.

 

 

-Kristoffer Noheden, 18 juillet et 26 août 2024

Traduit par Neige Sinno