ALAN GLASS

Une longue amitié, comme aucune autre 

Portrait d'Alan Glass par Daniel de Laborde©

 

Montreal, Canada, 1932
Cdmx, México, 2023

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Biographie détaillée

 

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Alan était avant tout mon grand ami et, pendant quarante ans, notre relation s’est approfondie, passant de la confiance à des conversations toujours fantastiques qui pouvaient durer de quelques minutes à plusieurs heures. Ces échanges m’ont permis d’approfondir les valeurs de la vie, du monde de l’art, de la sensibilité des choses et de l’appréciation des gens.
Alan a toujours été très secret et intègre, avec une capacité unique de collaboration, d’écoute et de respect des idées. Il était la noblesse même. J’ai toujours été étonné par sa capacité d’émerveillement, l’enfant qu’il était et la liberté de sa pensée. Tout l’intéressait et le distrayait. Mais le plus important était son travail, auquel il consacrait de nombreuses heures de sa journée et de son sommeil. Alan savait s’amuser de tout.

Né en 1932 à St Bruno près de Montréal, son père était le responsable du golf du Mont Bruno, que son oncle avait conçu. Sa mère, d’origine écossaise, était dévouée à ses enfants et à son mari. Incontestablement sa plus grande admiratrice, sa complice.
Alan a suivi une scolarité traditionnelle sans succès, peut-être que la forme symétrique et la phonétique d’une lettre l’intéressaient plus que le signe. Sa logique et son intelligence l’ont amené à rattraper le temps perdu et à découvrir sa vocation en étudiant à l’École des Beaux-Arts de Montréal, où il a rencontré son grand mentor et ami de toujours, Alfred Pellan. Pellan est revenu au Canada après avoir passé quatorze ans en France. Il est à l’origine du mouvement Prisme d’Yeux qui correspond à une rupture avec les arts traditionnels d’inspiration religieuse au Canada. Sans doute ses conversations avec lui ont-elles conduit Alan à s’expatrier à l’âge de dix-neuf ans vers Paris où il est arrivé avec une bourse modique de mille dollars du gouvernement français et toute l’énergie nécessaire pour conquérir le monde.

Il est entré aux Beaux-Arts et a enchaîné les petits boulots pendant dix ans. Il est passé du nettoyage des lustres de l’ambassade du Pérou à la mise en boîte de suppositoires avec son ami Jodorowski, puis à l’emballage de livres dans une librairie. En 1956, il est devenu portier au Club St-Germain où se produisaient les meilleurs jazzmen de l’époque. Dans son coin, il faisait des dessins avec un Bic, qui seraient plus tard assimilés au monde des surréalistes et que Breton allait exposer à la galerie d’Eric Losfeld, Le terrain Vague.

Alan en a profité pour parcourir l’Europe et la France, accumulant des milliers d’objets qui trouveraient un jour leur place dans des boîtes créées avec poésie, romantisme et avec une fabuleuse créativité pour faire des liens entre eux. Sa mémoire et sa capacité d’association l’ont amené à créer ces œuvres uniques.

Dans sa chambre du 5 rue Manuel, où il a vécu pendant les dix années de son séjour à Paris, il a également eu l’occasion de peindre ses « tableaux invisibles » qui l’ont élevé vers les cieux. Cependant, Alan ne parlait pas de son œuvre peinte ou gravée. Seuls les dessins automatiques au Bic faisaient l’objet de conversations. Alan les a perdus de vue pendant plus de soixante ans, jusqu’au jour de son quatre-vingt-huitième anniversaire, où il a trouvé dans sa boîte aux lettres une lettre qui avait voyagé pendant quatre-vingt-dix jours depuis Grondines, au Canada. Le généreux héritier de Micheline Beauchemin, Jean Paul Parre, le cherchait pour lui annoncer qu’il avait retrouvé ses dessins à l’abri des intempéries qui les auraient abîmés.

Après la pandémie, nous sommes partis à leur recherche, ce qui coïncidait avec la saison de l’été indien, dont Alan gardait un vivant souvenir d’enfance. Alan en a profité pour rendre visite à ses différents amis avec lesquels il a toujours maintenu une communication épistolaire et, plus tard, fréquemment téléphonique le samedi ou le dimanche. Il était plein d’énergie, sans doute en raison du bonheur d’avoir retrouvé cette œuvre, élément fondamental de son développement artistique.
Avec la récupération de ses dessins, Alan a ressenti une sorte de paix, car il n’imaginait pas qu’une partie de son développement artistique disparaisse. Il a décidé de faire un deuxième livre avec ces dessins.
En 1962, il a décidé de s’installer au Mexique, un pays qui l’accueillit à bras ouverts et où il continuera à travailler pendant plus de 60 ans, exposant dans les galeries d’Antonio Souza et, plus tard, de Pecanins, tandis que certaines de ses œuvres feront partie de grandes collections et de musées.

Alan a continué à fouiller dans ses milliers d’objets qui ont fini dans des boîtes, le genre pour lequel il est devenu le plus connu. Il disposait désormais de nombreux ateliers dans sa maison du quartier de la Roma et s’attelait frénétiquement à les agencer comme il le faisait quotidiennement. Il a également laissé des indices pour ce travail qu’il n’a jamais montré, tout comme les indications pour la compréhension de ses peintures à l’huile et l’aquarelle qu’un jour Salvador, son grand ami et soutien pendant plus de 40 ans, nous montrerait. Il savait que nous les trouverions et que nous aurions ainsi quelques dernières références pour déchiffrer « le parcours de son œuvre ». Il nous a prévenus que nous aurions besoin de beaucoup de temps pour relever ce défi.

Alan s’est éteint le 13 janvier 2023 à son domicile, après avoir travaillé jusqu’à deux jours auparavant. Avec ses dernières forces, il m’a donné une accolade d’adieu que je n’oublierai jamais.

En 2024, à l’occasion du centième anniversaire de la publication du Manifeste Surréaliste, une exposition rétrospective sera organisée à Bellas Artes, le Musée des Beaux-Arts de Mexico, et une autre au Musée des Beaux-Arts de Montréal.

Carlos de Laborde-Noguez.
Mexico, le 16 janvier 2024

Traduit par Neige Sinno